#ChallengeAZ - B



B comme BRETAGNE ou BREIZH

 « La BRETAGNE est beaucoup plus loin qu’on ne l’imagine, et elle s’éloigne tous les jours quand on n’a pas la grâce qu’il faut pour la regarder. C’est un mirage qu’on doit gagner par la soif et trop de gens sont désaltérés d’avance.
Désormais la Bretagne se cache derrière ses grand-routes, ses villes en expansion, ses immeubles collectifs, ses usines à poulets, ses plages-expositions et tous ces pièges qui balisent les aventures saisonnières des modernes chevaliers de la Table Ronde dont le destin est d’aller par troupeaux. 
La Bretagne s’est fardée à bon marché pour mieux donner le change à ceux qui vont trop vite. Mais toutes les dégradations inutiles que les hommes font subir à un pays sous couleur de développement sont impuissantes à altérer sa géographie essentielle.
Les éléments naturels commandent toujours et jusque dans les paysages urbains.
La BRETAGNE est toujours à deux pas, mais il faut les faire ! »

VOYAGE AU BOUT DU MONDE

Le premier voyage est une image de géographie. Un monstre de blason, l’échine étirée, le mufle ouvert et dardant une langue tricuspide pour laper l’eau salée, voilà comment apparaît la Bretagne aux amateurs de cartes et d’estampes. Parmi les « péninsules spectatrices de l’Océan », la Bretagne est celle qui a le plus fait travailler les imaginations. La ligne de son échine guide le soleil vers son lit marin, au large de l’Europe. Elle est vraiment le Bout du Monde, la Fin de la Terre, comme le proclame le nom même de son Far-West ».
 
Le second voyage est de rêve et de légendes. L’histoire de la Bretagne est brumeuse et se dégage tard de l’un et de l’autre. Il semble qu’elle ait été interdite par de très vieux tabous, même pour ceux qui s’aventuraient à l’aborder par la mer.  Son dernier parapet baignait dans les enchantements qui séparent les hommes des dieux, c'est-à-dire les vivants des morts.  L’incertitude même de sa configuration, sans cesse remodelée par les raz de marée et le caprice des courants, donnait l’impression qu’elle se dérobait à toute colonisation humaine.

LE VIEIL OCEAN
L’Océan n’est pas la mer. Affaire de dimensions. Et puis, en breton, le mot est masculin (Mor). L’Océan est un très vieux monstre mâle que les hommes désirent domestiquer depuis toujours sans que cette entreprise approche encore de sa fin. Des centaines de lieux de côtes sonnantes sont l’enjeu de cet affrontement millénaire. C’est une curieuse impression, quant on est au bout de la Bretagne, que de s’imaginer tout un continent à l’abri derrière soi pendant que l’on reste en tête à tête, nuit et jour, avec une immensité marine qui n’arrête pas de lancer contre notre avant-poste ses vagues d’assaut. 
Tout le pourtour breton est une succession de caps, de pointes et de roches qui se subdivisent à l’infini pour protéger les grèves, les baies, les anses, les criques, les plages, les ports. Drôle de jeu, et qu’il faudrait pouvoir suivre pendant le temps de plusieurs vies d’homme pour en saisir le vrai sens.

IMAGES DES PORTS

C’est là que le meilleur accommodement  se fait entre le vieil Océan et les hommes. Car il accepte de collaborer, ce monstre, même s’il fait payer régulièrement cette collaboration d’un lourd tribut. 

Et il donne à vivre, pas seulement à manger. Il n’y a pas deux ports bretons qui se ressemblent. Une partie de la légende et de l’histoire bretonne y est inscrite et continue à s’y inscrire malgré les temps nouveaux. C’est une vie grouillante sous un ciel changeant, avec d’âpres odeurs marines, dont la force libère la tête et les poumons.

DES PLAGES ET DES ILES
On pourrait croire que du sable, c’est toujours du sable !
Mais le sable breton est de la plus fine mouture et fortement brassé. Il est dispensé sans nulle avarice et aucun gaspillage ne saurait en venir à bout. Il y a tant de plages qu’il est vain de vouloir les compter. Les cotes bretonnes sont si fouillées, si ensemencées par l’Océan qu’elles font trouver à chacun un séjour pour les hommes ou un paysage de nature propre à satisfaire le désir qu’il nourrit au fond de son cœur en dissipant les fatigues de son corps.
Le sable ne suffit plus au premier âge et au dernier. On veut aller sur l’eau. Les vagues et le vent sont des jouets que le Père Noël n’as pas sans sa hotte. La Bretagne toute entière est une école de voile. Et il y a la suprême attirance des iles, hautes ou basses, luxuriantes ou nues, habitées ou désertes, proches ou lointaines. Elles gardent un si haut caractère que d’y aller seulement vous donne l’illusion d’explorer des terres inconnues.
Perdues au large, ancrées devant les côtes, ou à l’embouchure des cours d’eau, hantées par les hommes ou les oiseaux, porteuses de forts et de chapelles, parfois sans nom et sans escale, ce sont des mondes clos en tout état de cause. Et beaucoup sont dominées par les grands cierges des phares qui ceignent la Bretagne nocturne d’une hallucinante ceinture de feux tournants, clignotants, immobiles.
En hommage au vieil Océan, au vieux monstre mâle qui veut bien s’amuser avec nous à condition qu’on ne s’amuse pas avec lui. La patte du tigre est redoutable, même et surtout quant il la fait de velours.

LE ROYAUME DES PIERRES
Or, la péninsule armoricaine a su lui résister de toutes ses pierres. La configuration de la moindre pointe rocheuse a de quoi faire honte au poliorcète. L’architecture de la Bretagne s’établit autour de deux épines dorsales parallèles ; les Montagnes d’Arrée et les Montagnes Noires qui se renforcent mutuellement.
Tandis que l’assaut du vieil Océan mettait à nu les roches, creusait des grottes et des tunnels, isolait des aiguilles et des ilots nus, décharnait des chaussées d’écueils, les autres éléments naturels faisaient saillir dehors les os de la terre, les socs de quartzite du Roc’h Trévézel, les sommets du Laz, les diverses échines ou escarpements qui portent les noms de Roc’h, Ménez, Bré, Roz ou Run. Les eaux courantes, en creusant leur lit, polissaient d’énormes blocs amoncelés en chaos, ou semés comme les dents du dragon.
Ces pierres déroutent. A quoi pouvaient bien servir, que pouvaient signifier exactement ces chambres souterraines, ces allées couvertes ou non, ces cromelec’hs, ces dolmens, ces menhirs solitaires ou alignés par centaines et toutes ces énormes pierres brutes qui balisent nos paysages de leurs points d’ironie ? Il en existe ailleurs qu’en Bretagne, mais nulle part il ne s’en fait pareille exposition. Il ne faut pas compter sur le carbone 14 pour éclairer valablement l’épais mystère qui entoure ces phénomènes.
La légende parle souvent d’humains pétrifiés. C’est trop et ce n’est pas assez.
La pierre elle-même n’est-elle pas déjà symbole en dehors de tout usage que l’on peut en faire ?
  
CIVILISATION PAYSANNE
Il y avait deux Bretagnes ; la Haute qui parlait Français, la Basse qui avait conservé la langue bretonne et que l’on appellait« Breiz-Izel ». Au IXème siècle, le breton régnait à l’Ouest d’une ligne allant de la baie du Mont Saint Michel à l’estuaire de la Loire. Par la suite, il a reculé pour s’établir derrière la baie de Saint Brieuc, au Nord, et de l’embouchure de la Vilaine, au Sud.
Il est très long et très difficile d’entrer dans cette civilisation. L’une de ses couleurs (non pas apparences) s’est éteinte avec la disparition des costumes de terroirs.
Ainsi l’indiscutable primauté de la mer, en Bretagne, ne doit pas faire oublier le caractère exceptionnel de l’art breton qui règne à l’intérieur ni l’attachante originalité d’une population capable de réserver un accueil  délicat à ceux qui savent l’approcher sans se formaliser de son apparente rudesse.
Le meilleur fond de cette population est paysan. C’est un honneur qui commence à se perdre mais qui se cultive encore dans les terres. Au cours des années qui viennent, le monde étant ce qu’il est, il ne faudra pas s’étonner si nos contemporains sont de plus en plus attirés par nos campagnes. La vogue des résidences secondaires rurales en est un signe. 

Il y a tant de manoirs, de moulins, de maisons ménagères, désertées dans les écarts, qui attendentdes amateurs convaincus.
Le charme tranquille de nos vallons, le mystérieux envoûtement de nos forêts, la grâce paresseuse de nos rivières, la rude grandeur de nos paysages « montagnards » verront revenir leur heure, même si elle doit être celle du vagabondeur motorisé des routes secondaires, l’homme qui aura su apprendre à entrer en vacances, qui reposera ses nerfs et n’exercera pas illusoirement sa volonté de puissance, sur un accélérateur en surveillant une aiguille qui règle une moyenne.
Derrière les ports et les villes anciennes, également chargés d’histoire connue, il y a une réserve inouïe de propriétés strictement anonymes où la nature n’en fait qu’à sa tête. La leçon des siècles s’y conserve avec les enchantements de la Table Ronde. Rien  ne saurait prévaloir contre eux avant longtemps. Ni l’usine marémotrice de la Rance, ni le radôme de Pleumeur-Bodou, ni l’usine atomique de Nestavel. Au contraire. Comme on dit au théâtre, tout cela est en situation. La Bretagne est en mesure de digérer bien d’autres phénomènes et de transformer bien des nouveaux carrosses en citrouilles avant de se retirer, en compagnie de l’Enchanteur Merlin dans ce qui restera du Val sans Retour.

La Bretagne n’est donc pas un pays qui se parcourt au galop, quel que soit le nombre de chevaux dont on dispose. Certes il n’est plus question de la découvrir à pied. Nous n’avons plus le temps ni la patience et, d’ailleurs, les chemins creux se font rares. Mais il faut abandonner les grandes routes et pénétrer au cœur des cantons. Ils sont toujours à trois pas et généralement desservis par de bonnes voies de communication. C’est là que se trouvent les lieux les plus respectés et souvent les plus beaux points de vue. C’est là aussi que se dressent, dans leur paix séculaire, les chapelles de la foi bretonne, entourées des calvaires et des fontaines sacrées. C’est là, enfin, que vous prendrez contact avec les populations qui vivent encore à l’heure du soleil.

« Soyez les bienvenus en Bretagne ! » « Bezit digemeret mad e Breiz ! »
« Pierre Jakez Hélias »

Sources
Extrait de « Images de Bretagne » de Pierre Jakez Hélias.
Dessins de « La Vieille France – Bretagne »  par A.Robida.
Dessin de Korrigans de Le Corre.
Aquarelle de Robert Lepine.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire